S’il avait encore eu un cœur, il aurait pu l’entendre battre à ses oreilles. Mais ce qu’il en restait était mort depuis longtemps. Tout comme son humanité, et la compassion qui allait de pair avec elle. Il n’avait envie que de sang. Il entendait un téléphone sonner quelque part au loin, mais était ce réellement possible dans un château, alors qu’il y avait si près de lui des hommes qui croisaient le fer avec violence. Il sentait le sang partout. Il avait si faim que ça en était douloureux. Il marchait dans un long couloir, éclairé seulement par des chandelles environ tous les mètres. Il finit par s’arrêter devant une porte et en tourna la poignée…
Felix se réveilla en sursaut. Les cauchemars avaient cessé des décennies auparavant. Il n’avait que peu de souvenirs de sa vie d’humain. Guère plus de sa toute jeune vie de vampire. Il n’avait de souvenir que des vertes étendues et des murs de pierre de Dublin au début du quinzième siècle. Des guerres, des famines, des épidémies. La mort, partout. Etait il riche, était il pauvre ? Sans doute ceux qui l’avaient côtoyé de son vivant, et qui s’étaient éteints depuis des années, étaient les seuls à le savoir. Le secret de ses origines était mort avec eux.
Il repoussa les draps et sortit du lit, s’approchant de la fenêtre. Il avait été tranquille si longtemps. Jusqu’à ce qu’elle entre dans sa vie. Et en sorte. Il avait passé exactement treize ans à parcourir l’Europe, à tuer, massacrer, déchiqueter, vider de leur sang les malheureux qui avaient la malchance de le croiser au détour d’une ruelle sombre. Il ne voulait pourtant surtout pas blesser les humains. Il refusait de se nourrir d’eux. Et voilà ce qui en avait résulté. Lorsqu’il avait enfin réussi à se contrôler, le remords l’avait envahi si intensément qu’il en passait des nuits atroces. Puis cela aussi était passé. L’homme qu’il avait été était mort, et il n’était désormais plus qu’un vampire qui voyait les humains tels qu’ils étaient vraiment. De la nourriture. Il se liait pas à eux, restait à l’écart. Jusqu’à ce qu’il la rencontre.
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Il était affamé. Cette odeur le poursuivait depuis l’instant où il était entré dans ce bar miteux, enfumé et rempli d’hommes et de femmes à la réputation douteuse. Il aurait pu en attraper un ou une au hasard, l’emmener dans un coin sombre et boire son sang jusqu’à plus soif. Mais c’était sans compter cette odeur obsédante, enivrante, à un tel point qu’il n’aurait de repos que lorsqu’il l’aurait enfin trouvée. Et il ne fallut que peu de temps pour la trouver. Une belle plante, aux cheveux de jai, aux yeux d’encre et la peau chocolat. Il s’en léchait déjà les babines. Felix resta loin d’elle, se contentant de l’observer jusqu’à ce qu’elle s’en aille, de son élégante et nonchalante démarche.
Il la plaqua contre un mur et déchira la peau soyeuse tel le monstre qu’il était. Les victimes se débattaient à chaque fois. Elle était bien la première à n’en rien faire. Elle était résignée, et tout son être le suppliait d’en finir. Et ce fut exactement ce qui le poussa à arrêter. Ce ne fut pas facile, tant son nectar bordeaux était délicieux à s’en damner…
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Il ferma délicatement la porte. Elle peignait. Encore. Une pale copie. Elle était bien trop talentueuse pour se limiter à cela. Il huma les longs cheveux sombres, qui sentaient les agrumes et le soleil de son pays. Et prit sans prévenir son poignet fragile, y mordant avec la violence qui était sienne. Carmen ne dit rien, se contentant de le défier de ses prunelles intenses. Il ne tenait jamais très longtemps quand elle faisait ça. Il la lâcha, repoussant son poignet avec rage et hurlant sur la fragile jeune femme. Et elle lui répondit avec son suicidaire mais habituel aplomb. Il était, comme toujours, incapable de contenir sa rage, et elle se retrouva acculée au mur, incapable de se défaire de sa puissante emprise. Il cracha presque sa rage à son oreille, n’ayant qu’un mouvement à faire pour lui percer la jugulaire. Mais elle était lasse, si lasse qu’elle le suppliait de l’achever. Il aurait dû le faire ce soir là, mais il en était incapable. Et en restait incapable, alors que les jours puis les semaines puis les mois s’écoulaient en sa présence. Sauf que ce jour là, il avait quasiment atteint le point de non retour.
Le lendemain, elle était partie. Il n’avait rien vu venir. Ne s’en était même pas douté. Il aurait dû la laisser partir bien avant. Mais son absence était un vide douloureux. Il était incapable de dire pourquoi. Si ce n’était qu’elle était une obsession maladive pour lui. Il avait remué ciel et terres pour la retrouver. Et il avait réussi. Carmen se trouvait à Port Hudson, une petite ville de Louisiane. Il détestait cette région. Il détestait les USA en règle générale. Il ne lui laisserait pas le choix, quand bien même. Malheureusement pour ses affaires, il avait une autre connaissance dans cette obscure petite ville, une connaissance dont il se serait bien volontiers passé…