« Je pourrais vous dire que si je déteste tellement les vampires, les loups-garous et toutes autres créatures pas franchement catholiques, c'est parce que j'en ai toutes les raisons du monde. Je pourrais vous inventer une belle histoire de famille entière massacrée par une de ces créatures pour justifier la chasse que je leur donne. Je pourrais, oui, mais ce serait hypocrite et, malgré tous mes défauts, je ne suis pas un adepte des faux-semblants. Pourquoi je chasse ? Pourquoi je tue ? Parce que ça me plaît et que j'aime ça, alors quitte à donner libre cours à mes pulsions, autant faire d'une pierre deux coups en me débarrassant de ce qui n'est pas humain. Intolérant ? Sans aucun doute mais moi, je suis dans mon bon droit.

Faut dire que dans la vie, je n'ai pas franchement eu de chance ; fils d'un ferrailleur et d'une alcoolique sans le moindre sous, les services sociaux m'ont très vite retiré à la garde de mes géniteurs m'envoyant dans le système des familles d'accueil. J'aurais pu tomber sur un foyer aimant, mais la encore j'ai du jouer de malchance ou alors, peut-être qu'en réalité, ils sont tous comme ça. Chez "moi", on était cinq gamins issus des services sociaux, cinq à dormir dans la même pièce, chez une espèce de marâtre qui n'avait rien à envier aux sorcières de contes pour enfants. Sauf que nous, on avait pas de marraine bonne fée pour nous sortir de la merde. C'est là-bas que j'ai fait la connaissance de Sasha : elle était blonde, elle était belle, une année ou deux de moins que moi et, presque aussitôt, je me suis mis à la protéger comme une louve prendrait soin de ses petits. Je n'avais jamais eu de famille, elle devint très vite la mienne. Je lui avais promis que je l'aimais tellement que j'aurais tué pour elle, elle avait juré qu'elle m'aimait tellement qu'elle mourrait pour moi. Nous étions tous les deux des gens de paroles, nous avons tous les deux tenu nos promesses. Une histoire sordide, comme il en pousse à chaque page du journal, à l'exception que cette fois, c'était la nôtre. Elle avait à toux prix voulu aller danser dans ce nouveau bar à la mode qui venait d'ouvrir et moi, trop tendre dans tout ce qui la concernait, je n'avais pas eu le cœur de le lui refuser. On avait alors que dix-huit ans, mais par chance, on ne nous avait pas demandé nos cartes d'identité. Tout s'était bien passé jusqu'à ce que ce type s'approche trop près de celle que je considérais comme une sœur et tout s'était enchaîné. Je lui avais collé une droite, juste pour lui apprendre le respect, il avait répliqué, forcément. Dans un élan de stupidité et de peur, Sasha s'était interposée. L'autre type l'avait repoussée violemment et sa tête avait heurté le coin du comptoir. Je crois que je n'ai jamais eu aussi mal de toute ma vie ; aucune douleur ne pouvait surpasser celle de voir Sasha, la tempe en sang et inconsciente. Avant que je n'ai eu le temps de comprendre ce qui arrivait, j'avais tué son agresseur en lui enfonçant un tesson de bouteille dans la gorge, ma sœur était morte et je m'étais retrouvé dans une cellule.

Condamné pour homicide involontaire en situation de légitime défense, je n'en ressortis que cinq ans plus tard, pour bonne conduite, disait la version officielle. Un de mes mâtons me glissa que quelqu'un avait intercédé en ma faveur sans me dire de qui il s'agissait. La prison m'avait considérablement endurci, un peu plus que je ne l'étais déjà dirons nous, mais ce n'était pas étonnant. Après qu'un premier mec m'a éclaté l'arcade sourcilière en me collant la tête contre un mur, j'ai commencé à me défendre ; suffisamment pour qu'on s'en prenne à d'autres et qu'on me laisse en paix. Je ne jouais pas les héros : j'aurais pu défendre ces pauvres hères qui s'en prenaient plein les dents tous les jours, mais après tout, ce n'était pas mon problème. Altruiste ? Pas pour un sou. Philanthrope encore moins. Tout ce temps, je ne pensais qu'à Sasha et aux dernières images que j'avais eu d'elle. Tout ce temps je mûrissais une vengeance contre un type que j'avais déjà tué, cherchant d'autres responsables sur qui me défouler sans en trouver un seul de convaincant. Alors je finis par blâmer le monde entier. Quand je quittais le Louisiana State Penitentiary, quelques mois après le grand coming-out des vampires, il n'y avait personne pour m'accueillir et il ne me restait que les quelques maigres possessions que j'avais en y entrant : une cinquantaine de dollars et une gourmette en argent gravée au nom de Sasha. J'eus beau chercher du travail, personne ne me donna ma chance, aucun ne désirant prendre le risque d'engager un ex-taulard, même à l'essai. Alors, je devins ce que la loi avait fait de moi : un vagabond voleur, traînant d'hôtels sordides en motels pourris. L'idée de devenir chasseur de primes s'imposa d'elle-même ; c'était un moyen simple, efficace et presque honnête de gagner de l'argent rapidement. Mais il y avait mieux et je le découvris plus tard : dealer du V pour des camés en manque, par exemple, ou revendre des dents de loups-garous à des sorciers ou je ne sais quelle autre secte de psychopathes qui s'en servait comme grigri magique. J'ajoutai une nouvelle corde à mon arc et sans doute ne tombai-je pas sur les meilleurs spécimens des deux espèces ; tous ceux que je rencontrais se montrèrent imbus d'eux-mêmes et ne méritaient clairement pas de vivre. Je ne restai jamais longtemps au même endroit, de crainte que l'on m'arrête pour le meurtre désormais interdit des vampires et qu'on me rejette dans une cellule. Je fis le tour du pays avant de revenir en Louisiane, une longue année plus tard. Home, sweet home, here I am. Again. »