Je suis le parfait milieu. La justesse entre la coléreuse et l’insipide. Je suis celle qui calme les tensions. Je suis celle qui ne s’énerve jamais. Je suis celle qui sourie en toute circonstance. Je suis celle qui ne juge personne. Je suis celle qui agace, qui énerve. Je suis celle qui est heureuse. Je suis celle qui parait heureuse. Je ne suis pas celle qui prône ses idéaux avec ferveurs. Je suis celle qui préfère la diplomatie à la violence. Je suis celle dont tu ne sauras jamais véritablement ce que je pense. Je suis celle qui pourrait te briser si facilement que tu ne t’en rendrais pas compte. Je suis celle qui pourrait être bien dangereuse. Je suis celle que tous apprécie. Je suis celle qui te cache sa vie. Je suis celle qui te cache la vérité. Je suis celle qui joue la comédie à longueur de journée sans jamais faiblir. Je suis celle qui ne suit pas le précepte ‘tu ne mentiras point’ mais qui semble l’être aux yeux de tous. Je suis celle qui te parait la plus sincère, la plus réaliste, la plus conciliante, la plus chaleureuse. Je suis celle qui parait. Je suis celle qui ment. Je suis celle qui ne sait pas qui elle est.

◘◘◘

Carmen est maigre - un trait de bistre
Cerne son oeil de gitana ;
Ses cheveux sont d'un noir sinistre ;
Sa peau, le diable la tanna.

Les femmes disent qu'elle est laide,
Mais tous les hommes en sont fous ;
Et l'archevêque de Tolède
Chante la messe à ses genoux ;

Les cris ne s’arrêteront pas avant plusieurs heures. Elle le sait. Assise, sur son lit, balançant ses jambes au dessus du vide, son regard d’un noir profond s’évade par la fenêtre, totalement indifférente à la scène qui se passe à côté. Elle le sait maintenant qu’il ne faut pas y penser, ne pas regarder, ne pas demander pourquoi mama à des bleus. Il dit qu’elle le mérite. Elle sait que ce ne sont que des mensonges, que c’est faux. Il s’en veut et Carmen ne sait pas pourquoi. Elle ne veut pas savoir. A chaque fois qu’elle le regarde, il lui dit d’arrêter de chercher son semblant d’âme, il lui dit d’arrêter de fouiller en lui jusqu’à trouver la vérité. Le fait est qu’elle ne le fait pas exprès. Les cris et les bruits de vaisselle cassée s’arrête toujours. Mais la trêve silencieuse ne dure jamais très longtemps.
Il n’a jamais levé la main sur elle. Il a peur d’elle, de ses cheveux d’ébène, de son regard sombre et surtout de sa manière de montrer qu’elle n’avait pas peur de lui. A chaque fois que Carmen regardait son père, il se sentait honteux de boire, de frapper, d’être.

◘◘◘

Carmen a quinze ans. Et elle ressemble de plus en plus au poème de Théophile Gauthier. Sa mère n’est plus et son père s’est tiré en comprenant qu’il allait croupir derrière les barreaux. Néanmoins avec sa gueule d’ange, on lui a très vite retrouvé une famille. Elle est heureuse. Enfin, elle parait. Elle ne sait pas, mais la jeune fille sait que quelque chose cloche chez elle. Rien ne semble à sa place, comme si elle n’était pas accordée, comme si ce changement brutal avait tout bousculé en elle. Personne ne lui reproche d’être el diablo comme le prétendait son père. Mais son regard dérange toujours autant, elle le voit bien. Carmen essaye de le cacher sous de sourires amicaux et des paroles douces et aimables.

Le déclic. Dali. Picasso. Pissaro. Monet. Rodin. Henri Cartier-Bresson. Banksy. L’art. Sous toutes ses formes et tous ses aspects. Il a suffit qu’elle rentre dans le musée du Prado pour sentir que c’était son univers et qu’elle n’en sortirait pas indemne. Elle en resta bouche-bée, émerveillée. Montrer ses sentiments à travers une toile, une sculpture, un dessin en plein air. Les hommes ne sont donc pas si ignorants et lassants. Peu après, elle demande des pinceaux, des toiles, des crayons, des fusains. Et puis elle dessine, elle copie. Elle veut percer le secret de ceux qui ont réussi à étaler leurs sentiments avec tant de vérité. Elle produit. A seize ans, on lui propose déjà d’intégrer l’école des beaux-arts de Madrid. Sa vie est toute tracée.

Car sur sa nuque d'ambre fauve
Se tord un énorme chignon
Qui, dénoué, fait dans l'alcôve
Une mante à son corps mignon,

Et, parmi sa pâleur, éclate
Une bouche aux rires vainqueurs,
Piment rouge, fleur écarlate,
Qui prend sa pourpre au sang des coeurs.

On dit d’elle qu’elle est douée. Des éloges comme jamais elle n’en eut et elle sent très bien que plusieurs de ses camarades lui en veut. Elle ne devrait pas être là, et pourtant. Elle se sent comme un agneau entouré de loups féroces prêt à la déchiqueter à la moindre occasion. Mais, Carmen à déjà perdu son insouciance, sa naïveté. Sous ses traits fins, l’Espagnole voit tout, retient tout et est prête à ressortir chaque détail si quelqu’un l’énerve. Lorsque Marco à détruit une de ses peintures, elle a annoncé à sa petite amie qu’il la trompait. Elle le savait depuis plusieurs semaines à cause de simples détails insignifiants qui pour elle voulait dire bien des choses. Un regard, une phrase bancale, un sourire en pensant à un souvenir. Son sens de l’observation lui permettait de connaitre chacun des travers de ses camarades et après plusieurs démonstrations, les autres élèves n’en demandèrent pas plus.

Peut-être que son père avait raison. Lorsqu’il disait qu’avec son regard, elle fouillait les âmes. Peut-être qu’il avait raison. Peut-être que sous ses airs d’ange à la peau teinté du soleil, elle était el diablo. Ce qui était sûr, c’était que si Carmen pouvait connaitre tout de ses camarades en les observant, il était bien rare qu’on s’approche d’elle. Solitaire et secrète, jamais personne n’était capable de savoir si elle était capable de dire la vérité. Si elle était sincère. Elle énerve. Elle impressionne. Elle ne laisse personne indifférent et surtout pas les hommes. C’est peut-être cette fragilité apparente qui les attire, ou le fait que malgré tout c’est une éternelle amoureuse. Elle se jette à corps perdu dans ses histoires pour au final toujours les repousser. Qu’elle n’est pas faite pour eux, qu’elle n’est faite pour personne.

◘◘◘

A vingt ans, Carmen est sorti de sa promotion la première. On lui promet un grand avenir. On croit en elle et à ses tableaux troublants de vérité. Elle s’est installée à Barcelone et essaye tant bien que mal de vendre ses œuvres. Doucement, son nom commence à parcourir les rues et le monde de l’art. Bientôt on accepte de l’exposer dans une petite galerie qui à révélé de grands noms avant elle.

Et puis un jour, on la retrouve inanimée devant une de ses toiles. Très vite, on lui diagnostique une maladie cardiaque et les effluves de peintures ne peuvent qu’aggraver son état. Carmen entend toujours en elle son père l’appeler avec son surnom stupide qui maintenant lui fait peur. On lui interdit de peindre pour son bien. On lui interdit de boire pour son bien. On lui interdit presque tout. On lui dit que malgré toutes ses précautions, son cœur peut faiblir d’un moment à l’autre et la laisser tomber. On lui dit que si elle à réussi à vivre jusque là, elle le doit à une dose inouïe de chance. A croire qu’un ange veuille sur elle. Lorsque le médecin lui dit cela, Carmen éclata de rire.

Destinée à être oubliée, Carmen décida de partir loin de ce passé qu’il l’a hantait. Même si elle la toujours refoulé, le simple fait de voir dans un film quelqu’un être frappé la fait sursauter. Elle est faible et l’a toujours été. Elle a peur d’y passer. Son regard troublant et son attitude distante n’est que sa seule et unique défense face à la violence du monde et il faut avouer que c’est bien peu. C’est pour toutes ces raisons que Carmen décide de prendre le large et d’aller bien loin de son pays natal. L’Amérique, le monde de la deuxième chance. C’est très vite trouvé.

Ainsi faite, la moricaude
Bat les plus altières beautés,
Et de ses yeux la lueur chaude
Rend la flamme aux satiétés.

Elle a dans sa laideur piquante
Un grain de sel de cette mer
D'où jaillit nue et provocante,
L'âcre Vénus du gouffre amer.

Las Vegas. La ville de tous les vices. Bien que ne maitrisant pas la langue de Shakespeare, Carmen arrive à trouver sa place parmi les Escort-girl, les joueurs et surtout les riches. Si elle commença à gagner sa vie en jouant au poker, elle comprit très vite que ce n’était presque rien par rapport aux hommes qui étaient à ses côtés. Souvent riches et souvent idiots. A l’aide de ses sourires charmeurs, de sa fragilité, de ses paroles douces et aimables, elle devint très vite l’une de celles qui au bras d’homme portaient bijoux et robes qui coutaient bien trop chères. Jouer la comédie ne la dérangeait pas. Du moins, durant un certain temps. Souvent elle s’enfuyait avec son butin sans rien demander à l’homme en question qui se trouvait dépouillée. On disait d’elle qu’elle était une arnaqueuse, en volant les hommes, en volant les cœurs, Carmen se sentait souillée, comme si la phrase de son ère la poursuivrait toujours.

Et puis San Francisco, New-York, Detroit. Elle ne restait jamais très longtemps au même endroit. Elle continuait ses méfaits sans véritablement se repentir. Voler les hommes, être une autre l’espace de quelques semaines avant de disparaitre. Cependant Carmen ne pouvait jamais être elle-même si elle ne peignait pas. Alors très vite, une autre vint se tendit à son arc et pur peu à peu faire oublier la première. De la lumière, elle passa à l’ombre. De la comédie, elle revint à la peinture. A force de patience, ses tableaux furent de parfaites représentations de ses maitres. Dali, Picasso, Vermeer et tant d’autres venaient peu à peu remplir le vide de ses toiles et de son âme. D’arnaqueuse, elle devint faussaire et l’une des plus douée.

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Et pourtant il y a deux ans tout changea. L’annonce des vampires, révélée au grand jour lui fit l’impression d’une bombe. Au début, Carmen fut septique et au final fut obligée d’accepter cette situation, bien qu’elle ne voulait pas choisir de camps. Hors de question d’être pour ou contre ces hommes et ces femmes qui n’avaient pas choisi leur destin. Pourtant il fallait bien avouer que plus loin d’elle ils étaient, mieux elle se portait.

Sa vie se conjugua entre visites chez le médecin pour surveiller l’état de son palpitant et ventes de ses peintures. Elle profitait de sa nouvelle vie sans aucune gêne, ne plus dépouiller les autres l’arrangeait en fin de compte. Même si elle était toujours incapable de faire entrer quelqu’un dans sa vie sans lui raconter une fausse vérité pour cacher d’elle son passé et ses sentiments. Cacher, mentir était si naturel pour elle que parfois Carmen s’en voulait de ces mots qui sortait de sa bouche avec une facilitée déconcertante. Elle s’en voulait d’être ce qu’elle était.

Et puis, la rencontre d’un homme fit basculer sa vie. Une nuit noire. Une ruelle. Des crocs et une seule phrase : tu es à moi. L’Espagnole ne tenta pas de se débattre, peut-être l'envie d'en finir après tout. Elle consentit a sentir ses crocs percer sa chair avec une force inouïe, elle n’était plus qu’un pantin désarticulé. Vampire depuis bien trop longtemps. Il la laissa en vie, pourtant elle aurait préféré mourir plutôt que de savoir ce qui l’attendait.

Une donnée de plus vint s’ajouter à l’équation de sa vie : Felix. Elle ne sut jamais son véritable nom. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’il avait fait d’elle sa chose sans lui demander son avis. Il lui dit que c’était son regard qui l’avait attiré. Que c’était pour cela qu’elle était devenue son Calice. Il aurait put l’appeler distributeur vivant, cela n’aurait rien changé. A chaque fois qu’il voulait s’abreuver, elle sentait ses crocs mordre sa chair sans qu’elle ne puisse rien faire. A chaque fois, elle le défiai. A chaque fois elle le regardait malgré la douleur. A chaque fois il lui disait qu’il aurait du la laisser mourir. A chaque fois elle répondait qu’il pouvait toujours le faire. Mais allez savoir si c’était une once d’humanité ou alors le fait que malheureusement il s’attachait à elle, jamais il ne put la tuer.

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Elle fuyait pour la seconde fois de sa vie. Espérant pouvoir effacer plus facilement de sa mémoire le nom de Felix que les traces de morsures qui marquait sa peau ambrée. Arrivant à Port Hudson Carmen décida de s’y installer et surtout de ne pas se faire remarquer. Achetant un minuscule local, elle s’improvisait fleuriste et vendait encore ses toiles pour pouvoir survivre. Car très franchement, fleuriste ça gagne une misère.

Mais Carmen est toujours la même. Secrète, souriante et malheureusement pour elle, le poème de Théophile Gauthier lui colle à la peau.